KIRA ✬ i fly like paper, get high like planes.

in the land of gods and monsters, i was an angel
living in the garden of evil

« Mademoiselle? Mademoiselle! Mademoiselle! » D’une démarche assurée, Kira avança sans se retourner jusqu’à la sortie et passa les portes de sécurité, réajustant nonchalamment sa besace en cuir d’une main. « Mademoiselle! » Le bruit de ses bottines à talons claquant sur le sol marbré du centre commercial, elle fit mine de s’arrêter pour observer la vitrine d’un des magasins qui l’entouraient. « Excusez-moi Mademoiselle, je pense que vous avez oublié quelque chose. » Une main se referma autour de son bras et elle se redressa brusquement, se retrouvant nez à nez avec un chargé de sécurité. « Pardon? » lâcha-t-elle d’une voix nasillarde. Le piercing qu’elle s’était fait en cachette la semaine dernière n’était toujours pas cicatrisé. « Je vais devoir vous demander de me montrer le contenu de votre sac. » Elle laissa échapper un rire moqueur, rire qui s’étouffa rapidement lorsqu’elle comprit qu’elle n’avait cette fois pas été assez discrète.

La jeune fille lâcha son sac à contrecoeur et le tendit à l’homme en costume qui ne tarda pas à en vider l’intégralité à terre. Cigarettes, maquillage et téléphone portable s’étalèrent au sol dans un fracas, suivis par un magnifique bracelet en argent massif. L'homme le brandit triomphalement devant l'air indifférent de la jeune fille et afficha son air le plus grave. « Je regrette, mais je vais être obligé d’appeler vos parents Mademoiselle. » Elle hocha les épaules, un léger sourire s’esquissant sur ses lèvres. « Je vous en prie. » Interloqué, il en lâcha presque l’objet du délit. Elle n’était pas la première gamine de quinze ans qu’il attrapait la main dans le sac — c’était le cas de le dire — en train de voler, mais elle était bien la seule qui ne le suppliait pas à genoux de ne pas appeler ses géniteurs. « Je doute que les bêtises de leur adolescente les fasse rentrer de Saint Barth plus tôt que prévu, mais qui ne tente rien n’a rien, n’est ce pas? » ajouta la jeune fille, un trémolo presque imperceptible dans la voix.

Oui, si l’homme pensait avoir tout vu lorsqu’il était question de vol à l’étalage,  sa rencontre avec Kira Finnegan lui prouva définitivement le contraire.

everyone thinks that i have it all
but it's so empty living behind these castle walls

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, la première chose qu’elle vit fut les chiffres de l’horloge affichée sur la table de nuit à ses cotés. Sept heures pile. Son corps roula sur le matelas qui lui semblait trop peu familier tandis qu’elle posait le regard sur le corps musclé de l’inconnu allongé à ses cotés. Il dormait encore. L’occasion parfaite pour s’échapper sans avoir à répondre aux questions typiques du lendemain. Je peux avoir ton numéro? Non. On peut se revoir? Certainement pas. Comment tu t’appelles, déjà?

Kira se laissa glisser hors du lit et récupéra ses vêtements éparpillés dans le coin de la pièce, puis se rendit dans la salle de bain sur la pointe des pieds, attrapant son sac à main au passage. Elle enfila sa robe noire de la veille et fit bouffer ses cheveux bruns, observant son reflet dans le miroir. Quand il s’agissait de relations d’un soir, elle avait une règle d’or. Toujours disparaître au petit matin, avant même que son odeur ai pu s’évaporer des draps dans lesquels elle avait dormi. Elle était devenue une véritable reine au jeu de l’amour, la mystérieuse étrangère qui intriguaient les hommes et brisaient les coeurs juste pour s’amuser.

Sa vie était un véritable désastre, mais elle préférait pourtant se sentir misérable et affreusement seule plutôt que de s’offrir à quelqu’un. Plutôt que de risquer perdre tout. Plutôt que d’avoir mal. L’amour la terrifiait. Elle n’arrivait pas à s’y raccrocher, ne parvenait pas à le contrôler, et ça lui fichait une peur bleue. Les sentiments étaient éphémères et inexplicables, impossible à comprendre ou à saisir. Tout ce qu’elle détestait.

Elle appliqua une couche de rouge à lèvres et sortit de la salle de bain silencieusement, puis enfila ses escarpins. Entre temps, elle glissa une cigarette dans sa bouche et fila de l’appartement en claquant la porte derrière elle.

S’enfuir était devenu sa spécialité.

i'm queen of the world, i bump into things
i spin around in circles

« Envoyez moi les mannequins du groupe deux, » ordonna la jeune femme, agacée. Rien n’allait dans son sens, et elle ne pouvait absolument pas se permettre de perdre le contrôle, surtout pas dans une période aussi cruciale que celle des castings. Kira sirota son quatrième caramel macchiato venti de la matinée et alluma une cigarette, complètement indifférente aux regards désapprobateurs de ses collègues. Elle était la gérante des castings, après tout. Si elle avait envie d’allumer un gigantesque joint de marijuana au milieu de son bureau, elle avait tous les droits. Plus ou moins.

Si on était venu lui susurrer à l’oreille quelques années auparavant qu’elle serait aujourd’hui à la tête de l’agence de recrutement des mannequins de Victoria’s Secret, elle aurait probablement éclaté de rire. Elle s’était promis il y a bien longtemps de ne pas se laisser vivre au crochet de ses parents, de trouver un un travail et de bâtir son propre succès, mais elle n’aurait jamais pensé pousser son ambition aussi loin. Ce qui la rendait la plus fière était d’avoir accompli tout ça seule, malgré son jeune âge.

Son téléphone vibra et elle répondit à quelques mails en attendant les prochaines filles. Si elle était parvenue à se hisser à la direction de l’agence de casting, c’est qu’elle était à la fois rapide, efficace, et irremplaçable. Son tempérament tranchant et son manque de pitié était ce qui faisait d’elle la personne parfaite pour ce job. Kira connaissait ses atouts et ses faiblesses, et elle savait repérer les filles qui représenteraient la marque parfaitement mieux que quiconque.

La première jeune femme entra dans la pièce, et Kira éteignit sa cigarette — elle allait arrêter bientôt, ou du moins, c'est ce qu'elle se disait tous les jours — afin de se concentrer uniquement sur ce qui se passait sous ses yeux. Il était temps de faire marcher sa magie.