JAMES ⊱ Requiem pour la laideur

nom, prénom ● blackstone james. âge ○ vingt sept ans. date et lieu de naissance ● né le 14 février, à chicago, aux états unis. nationalité et origines ○ américain. statut civil ● célibataire. état monétaire ○ aisé. traits de caractères ● frontal, perspicace, cynique, désillusionné, cultivé, indépendant, tortueux, carnassier, indéchiffrable. groupe ○ cup of coffee.

Photographe de renommée mondiale, James est indéniablement un accro du travail. ⊱ La cocaïne lui permet de tenir le rythme surhumain des grands pontes de la mode. ⊱ Il est passionné par le corps, le mouvement, la lumière. ⊱ Il est connu pour son cynisme et son inaltérable obstination. ⊱ Il dissimule ses émotions derrière un masque d'impassibilité. ⊱ Il méprise la beauté, les personnes superficielles qui sont légion dans ce milieu made in papier glacé. ⊱ Il est insomniaque. ⊱ Il ne rie presque jamais. ⊱ Son oeuvre est tout ce qui compte à ses yeux. ⊱ C'est un carthésien terre à terre, un désillusionné chronique qui ne jure que par le cynisme et l'humour noir. ⊱ Il est extrêmement exigeant. ⊱ Il appréhende sa réussite dans le milieu ultra select de la mode comme l'impitoyable revanche de son existence. ⊱ 90 % de son anatomie est tatouée. ⊱ Il transforme son corps dénué du moindre éclat en support artistique. ⊱ Malgré de nombreuses liaisons éphémères, il ignore tout du sentiment amoureux. ⊱ Il ne tolère aucun caprice de diva lors de ses shootings. ⊱ Figer des portraits sur pellicule lui donne le sentiment de « capturer » la beauté à l'état pur, de se venger des humiliations qu'il a subi durant tout le début de son existence. ⊱ Il est la preuve ultime que la haine engendre la haine. ⊱ Il est prêt à tous les sacrifices pour lustrer son piédestal. ⊱ C'est un lecteur compulsif, un homme dangereusement cultivé. ⊱ Il aime les voitures de luxe, les bons scotchs et la musique classique...

La belle...
Il observe la déca-danse des corps alanguis sur le divan, le reflet des projecteurs qui embrasent les mannequins d'une lueur diffuse et monochrome. Esquisse d'un sourire glacial. Son regard cerné de khôl torpille la jeune femme comme une grenade dégoupillée. Abjecte allégorie d'une beauté scandaleuse, la créature étend ses longues jambes gainées de noir, inconsciente de son regard dément rivé sur sa poitrine saillante. Son sang pulse dans ses veines comme un shoot d'adrénaline. Il est en manque. En manque de poudre blanche pour assouvir ses pulsions. En manque d'étreintes charnelles pour raffermir sa virilité tyranique. Derrière l'objectif, il ne la quitte pas des yeux, mitraillant son corps diaphane comme un soldat sur le front. Une guerre sans merci, barbare, indécente, qui le propulse hors de la stratosphère et le happe dans un kaléidoscope de formes et de lumières creshendo. Il se sent renaître, animé par une rage intérieure qui le maintient en vie, par cette force immatérielle qui le façonne impitoyablement, le maquillant d'une prestance exécrable et géniale. Sur le plateau, la jeune femme arque les reins dans une ultime tentative pour atteindre l'excellence. James lâche son appareil et la contemple un instant, son regard gris acier étincelant de mépris. Elle n'est qu'une image onirique, l'exact reflet de ce qu'il ne sera jamais : outrageusement belle dans ses appâts de cuir. "Stop ! Ca manque cruellement de classe ! On vend du charme, du rêve, pas du porno revisité par une blondasse décolorée. Sérieusement c'est qui cette amatrice, j'ai l'impression de perdre mon temps." Regard excédé de son assistante ceintrée dans un tailleur en daim. "James ça fait déjà deux heures qu'on est dessus... Elle donne tout ce qu'elle a." "Si j'avais besoin de ton avis Grace, je te l'aurais demandé... Double nespresso corsé !" Silence nimbé d'un subtil cocktail de colère féminine. Il détourne un regard nonchalant, peu concerné par les états d'âme de ces monstres de beauté ravagés par une abjecte perfection. Des coquilles vides remplies de suffisance... C'est plus facile de se restreindre à ces considérations ! La jeune mannequin happe et soutient son regard un instant, une lueur de défi rehaussant la magnificence de ses grands yeux bleutés. Elle abdique rapidement, submergée par l'absolue réalité : elle n'est qu'une débutante, une proie facile entre les griffes d'un prédateur assermenté, un artiste de renom capable de signer son apothéose comme sa disgrâce. James savoure ce sentiment doux amer qui le conforte dans sa position, le fruit de sa terrible revanche sur une laideur transcendante. Il sacrifierai jusqu'à la moindre miette de bonheur illusoire pour soumettre ces raclures idéales au joug de son inaltérable génie. Battement de cils félin, puis de nouveau ce ras de marée qui submerge les rives asséchées de son coeur, le lambeau de chair de son sexe durci contre ses cuisses. Quelle femme ! Une insignifiante petite pute sur talons hauts... Il refoule cette pensée d'un haussement de sourcils dubitatif, fustigeant du regard celle qui possède le pouvoir ultime de réveiller d'un éclair les désirs de l'homme et de l'artiste ! Plutôt mourir que d'admettre l'indéniable vérité... "Il ne suffit pas d'être belle, encore faut il que j'y crois barbie ! On la refait !"
... Et la bête !
L'image tenace d'un petit garçon acculé dans une cave chasse les prémices d'un sommeil salvateur. Il repousse les draps baignés de sueur et attrape son radio réveil : 1 h 17 ! Sa main saisit l'étui à cigarette métallisé qui recèle l'exutoire vital. Nuage de cristaux blancs qu'il sniffe comme un désespéré, qu'il absorbe comme un dément perdu dans la tourmente. Il n'a rien mangé depuis hier matin. Le seul besoin viscéral est celui de la poudre qui lui permet de s'extirper de ces cauchemars en noir et blanc, de ces clichés floutés tatoués dans son psyché. Il gémit, sa chemise à moitié déchirée sur sa poitrine haletante. L'amnésie tarde à venir...

Nouvelle séquence photos. Le petit garçon se couvre le visage pour se soustraire à la vue des types qui le repoussent contre le mur défiguré par les tags, la pisse et le cambouis. Il supplie comme un rat, une vermine prise au piège de la cruauté latente de ses tortionnaires. Il sent d'instinct qu'ils ne le laisseront pas filer. Les larmes ruissellent sur les dépressions de son visage ingrat, lavant l'humiliation comme du white spirit, imbibant la moindre crevasse de son innocence lacérée par treize années d'indifférence, de haine, de peur et de dégoût. "Maman" "Ta gueule Frankenstein, même ta putain de mère peut pas supporter ta tronche de crevard." L'image se dissipe, remplacée par cette sensation de déconnexion totale avec le réel. James inspire profondément pour réoxygéner ses poumons. Il se hisse hors de son lit, trainant ses groles jusqu'à la fenêtre laissée entrouverte. Le ciel pollué de Chicago ne reflète aucune étoile, uniquement la noirceur fuligineuse d'une trop longue insomnie. "James..." La voix de Grace le tire de sa contemplation suicidaire. Il se retourne au ralenti, luttant pour focaliser son attention sur les courbes généreuses de la jeune femme. "Qu'est ce que tu fous chez moi ?" Silence interminable qui le propulse sur les rivages empoisonnés de l'angoisse. Il respire de toutes ses forces puis s'écroule telle une ancre sur le marbre étincelant. Une bouffée de rage obscure, d'impuissance et de solitude amère le submerge inéluctablement. Il déchire sa chemise en lambeaux, silencieux comme une ombre emprisonnée par les premiers rayons du soleil. Les talons aiguille de son assistante claquent comme des coups de fouet sur le dallage virginal. Elle se laisse glisser contre le mur tapissé de motifs zoomorphiques, sa crinière flamboyante ondulant chastement sur ses épaules dénudées. "Je suis passée te déposer tes clés, tu les avais oubliées à l'agence..." Sourire d'excuse étiolé d'un baiser. Il se laisse aller doucement contre sa poitrine, les yeux mi clos, comme un enfant dans le giron de sa mère, avant de s'écarter brutalement de cette amarre. "Merci pour les clés, tu peux rentrer chez toi... J'ai besoin de personne et surement pas d'une pétasse silliconée dans ton genre."